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Critique de Tu mérites un amour, de Hafsia Herzi

Délicat et modeste : voilà deux qualificatifs qui viennent aisément pour décrire le premier film d’Hafsia Herzi, Tu mérites un amour. Délicat d’abord, par la minceur de son intrigue – une rupture amoureuse, et comment on se débrouille après – et par sa façon de se tenir au plus près du cheminement intime de son personnage ; et modeste, par vertu naturaliste de ne jamais chercher à en dire plus que ses personnages, ou à surplomber l’intrigue par le discours.

Hafsia Herzi y interprète Lila, jeune femme fraîchement quittée par un beau gosse immature et infidèle, et qui cherche encore à empêcher l’irréversible. La suite est aisément prédictible ; nous y verrons Lila errer de rencontres en rencontres en tentant de retrouver un peu de la plénitude perdue.

La première séquence nous installe en paysage connu : après ce qu’on imagine être une filature, Lila surprend son ex compagnon sortant de l’appartement d’une autre fille et lui demande des comptes. On voit alors l’actrice sous son jour le plus connu, celui de la pleine expressivité et de la dépense vitale, fut-ce sur le mode de la colère et du désarroi passionnel. Le film rompra rapidement avec nos anticipations et nous révélera l’actrice sous un jour nouveau : rentrée en elle-même, murée dans une mélancolie qui semble incurable, lumineuse dans sa tristesse.

C’est une des grâce du film et de son actrice que de nous faire voir ce sourd travail du deuil et du renoncement, en ce qu’il possède d’erratique et de complètement indéterminé : l’intrigue déroule ainsi tranquillement ce qui constitue la vie après une rupture dans sa quotidienneté la plus fruste, du réconfort amical aux rencontres par appli consommées sans appétit, en passant par les doutes et les rechutes. L’absence de direction nette de l’intrigue, qui – signe du naturalisme – laisse être les situations sans les arraisonner à une finalité narrative, permet de faire ressentir le passage d’un temps lourd, compact, celui qui nous fait passer douloureusement d’un monde à l’autre, d’un monde avec l’être aimé à un monde sans, passage que l’on sait nécessaire et qu’on franchit à reculons. D’où cet aspect vignette du récit, qui voit Lila enchaîner les rencontres sans réelle implication, moments volatils que le film parvient à saisir dans leur fin grain de réel, leur tendre banalité et leur précarité. On gardera longtemps en tête ce rendez-vous culinaire avec un garçon asiatique après une approche culottée de ce dernier dans le parc, ou encore ces jeux de regard avec un garçon à l’allure de mannequin lors d’une soirée, qui se solderont par un fuste coït dans un local d’immeuble.

Hafsia Herzi sait incarner avec justesse cette extrême vulnérabilité qui suit la rupture amoureuse : Lila se meut dans un monde qu’elle ne parvient plus à habiter et qu’elle traverse en passagère passive, jouet des rencontres et des désirs s’effectuant par devers elle. Elle s’offre à qui la veut, apathique et las, et expérimente plusieurs modalités du rapport désirant – du rapport sexuel consommé dans l’urgence à la volupté insistante d’un couple libertin lors d’un séjour bien-être – au travers desquelles elle ne parvient pas à reconstruire l’unité perdue du sentiment amoureux. Chaque nouvelle rencontre parvient à signifier, sans dolorisme, l’insistance du manque de l’autre, parti fuir ses propres démons en Amérique du sud. On songe à ce que Barthes disait, dans Fragments d’un discours amoureux « Or il n’y a d’absence que de l’autre : c’est l’autre qui part, c’est moi qui reste. L’autre est en état de perpétuel départ, de voyage ; il est, par vocation, migrateur, fuyant ; je suis, moi qui aime, par vocation inverse, sédentaire, immobile, à disposition, en attente, tassé sur place, en souffrance, comme un paquet dans un coin perdu de gare. »

Si le film esquisse un dénouement et suggère sur sa fin la possibilité d’une idylle avec le beau personnage du serveur-photographe interprété par Anthony Bajon, une de ses grâces réside dans cette volonté de ne pas imposer de résolution à l’impasse sentimentale présentée ; de ne pas forcer son personnage à guérir en somme.